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Ebola
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Quand Ebola rime avec Troïka !

Karel Vereycken

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Distribution géographique des foyers de fièvre hémorragique à virus Ebola et aire de répartition (en pointillé) des chauves-souris frugivores de la famille des Pteropodidae. En Afrique du Sud, il s’agit d’un cas "importé".

Le virus Ebola a infecté au moins 8400 personnes et provoqué la mort de 4000 d’entre elles, d’après le dernier calcul de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce qui fait peur au stade actuel, c’est le caractère exponentiel de l’épidémie dans les pays fortement touchés : le Liberia, la Guinée et la Sierra Léone. Si le nombre de personnes contaminées à travers le monde continue à doubler tous les vingt jours, le nombre total de cas pourrait dépasser 20 000.

Faute d’une vraie riposte organisée et à la hauteur du danger de la part des dirigeants occidentaux, un climat de panique prend le dessus. D’abord, rappelons la nature exacte du virus Ebola et son mode de transmission en citant Bruno Lima, professeur des universités, praticien hospitalier de virologie à Lyon :

« Ebola est un virus zoonotique [1] dont le réservoir est une chauve-souris frugivore de la forêt équatoriale africaine. Cet animal contamine par ses déjections les fruits qu’il mange dans la forêt. Le virus est transmis aux animaux de brousse par les fruits contaminés et, comme la viande de brousse est une ressource alimentaire fréquente en Afrique, l’homme se contamine en préparant la viande des animaux malades. Alors, la spirale infernale de la transmission interhumaine se met en place, avec une succession de contaminations qui déciment les familles et les soignants. Du fait que contrairement aux épidémies précédentes, cette épidémie touche des zones urbaines [2], l’épidémie Ebola observée actuellement (…) a une ampleur exceptionnelle (…). La forte promiscuité et le défaut d’hygiène favorisent la diffusion intense du virus par transmission interhumaine.

Pour mémoire, tous les fluides corporels d’un patient malade sont contaminants. En revanche, il n’y a pas de transmission aérienne du virus, et être au contact d’un patient asymptomatique en incubation n’est pas contaminant.

En France, il y a ni chauve-souris contaminées, ni viande de brousse ni fruits de la forêt équatoriale. Une épidémie d’Ebola ne peut naître en France comme en Afrique. Ici, les cas d’Ebola ne peuvent être que des cas importés. »

Or, avec la confirmation hier, à Dallas (Texas), d’un deuxième cas d’Ebola contracté hors d’Afrique après celui de l’infirmière espagnole ayant soigné deux malades, les pays dits « riches » mais fragilisés par la crise économique et les coupes draconiennes dans les systèmes de santé découvrent qu’ils ne sont pas automatiquement à l’abri.

La Troïka nuit gravement à votre santé

En Espagne, les hôpitaux ont dû répercuter la réduction de sept milliards d’euros par an de l’enveloppe Santé, décidée par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy dans le cadre d’un plan drastique d’austérité lancé en 2012.

Si le projet régional de privatisation a finalement été avorté à Madrid, les économies, elles, ont bien été maintenues : le montant des dépenses du système de santé publique est passé en Espagne de 70 milliards d’euros en 2009 à quelque 53 milliards en 2014. Le secteur, qui comptait quelque 505 000 employés en 2012, en a perdu 28 500 depuis.

L’hôpital Carlos III, où se trouve l’aide-soignante victime d’Ebola, Teresa Romero, a ainsi réduit de 12% son personnel en 2013 (49 postes en moins sur 401) et son service spécialisé dans le traitement de maladies hautement infectieuses était en cours de fermeture pendant l’été…

Répétons ici ce que Solidarité & Progrès a déjà dénoncé pour la Grèce, l’Espagne et le Portugal : l’euro ainsi que les programmes destructeurs de la Troïka pour le maintenir en vie, nuisent gravement à la santé.

Une France assez absente

La politique française dans ce domaine ne manque pas de paradoxes. Bien que, suite au cri d’alarme de Médecins sans frontières (MSF), François Hollande ait annoncé le 18 septembre l’envoi d’un hôpital militaire, aucune mobilisation financière globale ne vient épauler cette initiative.

Alors que l’OMS et l’ONU chiffrent les besoins financiers pour lutter contre Ebola à 788 millions d’euros, seuls 272 millions ont été à ce jour mobilisés au niveau mondial pour soutenir les acteurs impliqués sur le terrain.

Sans parler des 25 milliards d’euros de pertes résultant du chaos économique provoqué, d’après l’évaluation de la Banque mondiale, par l’épidémie (Commerces, mines et frontières fermés, annulation d’activités culturelles, annulation probable de la Coupe d’Afrique des nations au Maroc, etc.)

Au même moment, en France, le projet de loi de finances pour 2015 présenté le 1er octobre à l’Assemblée nationale prévoit une baisse de 3 % des crédits de l’Aide publique au développement (APD), qui fait suite à une baisse de 6 % l’année précédente. Comme le dénonce Christian Reboul d’Oxfam,

« Plus inquiétant encore, les prévisions indiquées jusqu’en 2017 révèlent une baisse de 20 % pour l’ensemble du mandat de François Hollande. »

Et cela dans une situation où, au contraire, la priorité devrait être de renforcer les systèmes de santé de ces États fragiles, en reconstruction après des années de guerre et de dictature.


[1Transmissible de l’animal à l’homme et vice versa

[2Au Liberia, on a constaté que la déforestation massive du pays a incité les chauves-souris à se réfugier dans les villes. NDE.