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Skripal, l’ex-agent russe empoisonné : à qui profite le crime ?

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L’hystérie anti-russe a traversé la Manche. L’éditorial du quotidien Le Parisien d’aujourd’hui y va de sa petite musique :

Vladimir Poutine est le méchant de l’histoire, mais il adore ça. L’affaire Skripal n’est que le dernier épisode d’une longue série de méfaits attribués à l’ex-officier du KGB. La guerre en Ukraine, les opérations de désinformation lors des campagnes présidentielles américaine puis française, l’aide militaire aux exactions du régime de Bachar al-Assad… Tout est parfaitement réfléchi. La Russie est la patrie des échecs, Poutine le maître du jeu.

Or, qui pourrait croire que la Russie de Vladimir Poutine puisse être assez stupide pour commettre une telle opération ? De surcroit à la veille d’élections présidentielles, et quelques semaines avant d’accueillir la Coupe du monde de football ? Quel intérêt y trouverait-elle, au moment où elle regagne une place plus respectable dans la communauté internationale, où le « Russiagate » s’effondre aux États-Unis (la Commission du Renseignement de la Chambre vient de clore l’enquête, concluant à l’absence d’éléments prouvant la « collusion » entre Donald Trump et la Russie), et où quatre sénateurs démocrates, dont la doyenne Diane Feinstein et Bernie Sanders, appellent à rouvrir le « dialogue stratégique » avec la Russie ?

Après tout, ce n’est pas la première fois qu’une accusation de ce genre est montée de toutes pièces pour des raisons géopolitiques. Il y a d’abord eu le dossier de Tony Blair et de Sir Richard Dearlove, le directeur du MI6 à l’époque, sur les armes de destruction massives de Saddam Hussein – que nous cherchons toujours –, et qui a servi de prétexte pour plonger le Moyen-Orient dans un véritable enfer terroriste ; il y a eu ensuite les accusations d’utilisation d’armes chimiques par Bashar el-Assad ; puis le dossier salace contre Trump, concocté par l’ « ex » - agent du MI6 Christopher Steele, prétendant démontrer que le président américain est un agent du Kremlin, sans présenter aucune preuve, et en s’appuyant sur de simples ragots ; enfin, voici que Theresa May, sans aucune preuve une fois de plus, accuse la Russie d’être responsable de la tentative d’assassinat de l’ex-agent double Sergueï Skripal, retrouvé avec sa fille sur un banc à Salisbury, dimanche 3 mars, après avoir été empoisonné à l’aide d’un agent neurotoxique.

Theresa May, visiblement persuadée de vivre son moment « Churchill » contre un gouvernement russe qui menacerait « la vie du peuple britannique et d’autres sur le sol britannique », est apparue mercredi devant la Chambre des Communes, proclamant qu’ « il n’y a pas d’autre conclusion que celle selon laquelle l’État russe est coupable de la tentative de meurtre ».

Cette certitude se base sur le fait que l’agent neurotoxique serait d’origine soviétique (un « Novichok »), et sur le fait que la Russie a répondu avec « sarcasme, mépris et défiance » aux demandes d’explications faites par le gouvernement de sa Majesté…

Sans plus attendre, et violant les protocoles en vigueur de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), et de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC), qui impliquent qu’un échantillon du poison soit envoyé au pays accusé, la Première ministre britannique a annoncé l’expulsion immédiate de 23 diplomates russes, accusés d’être des espions, ainsi que la suspension de toutes les relations bilatérales.

Autres sons de cloche

Mardi, l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin avait souligné sur LCI que « Theresa May est allée trop fort dans cette réaction, avant d’avoir les résultats de l’enquête, avant d’avoir des éléments très précis, pour pouvoir mettre en accusation fermement », et d’ajouter,

une accusation qui n’est pas précise apparaît, vis-à-vis de l’opinion russe, comme une agression du monde occidental contre la Russie.

Aujourd’hui, vendredi, dans les pages du Parisien, Boris Johnson, le ministre britannique des Affaires étrangères se dit « reconnaissant de la solidarité témoignée par le président Macron, qui a repris à son compte l’analyse britannique selon laquelle la Russie était responsable de cette attaque ».

Suite au discours hystérique de Theresa May à la Chambre des Communes, le leader travailliste Jeremy Corbyn a suggéré qu’il pourrait exister une autre explication. Selon lui, il n’y a pas suffisamment de preuves pour conclure à la culpabilité de la Russie, faisant remarquer également que les services de renseignement peuvent se tromper. « Après tout », a-t-il souligné, « l’histoire du Renseignement et des armes de destruction massive est problématique, pour le dire diplomatiquement ».

Skripal une menace pour le « dossier Steele » ?

Alors, « Cui bono ? » L’avocat et analyste australien James O’Neill, soumet une hypothèse qui mérite d’être pris en compte. Dans un article paru mardi sur le site Consortium News, il pointe du doigt les liens entre Christopher Steele et Sergueï Skripal.

En effet, O’Neill constate que Skripal avait été recruté comme agent double par l’agent du MI6 Pablo Miller au début des années 1990, à l’époque où Steele travaillait pour le MI6 à l’Ambassade britannique à Moscou, sous couverture diplomatique. Skripal a été arrêté en 2004 et jugé en 2006 par la justice russe ; à ce moment-là, Steele dirigeait les opérations du MI6 contre la Russie. On sait par ailleurs que Pablo Miller, désormais « retraité », vit à Salisbury, où il est resté en contact avec Skripal. De plus, Miller a travaillé pour la société Orbis… la société de Christopher Steele (comme l’indiquait sa page Linkedin, avant que cela soit supprimé) en charge de produire le dossier contre Trump…

O’Neill écrit :

Mon hypothèse, certes spéculative (mais je dirais que ce n’est pas déraisonnable) est que Skripal était probablement impliqué dans la production du dossier Steele. Il était donc en mesure de fournir des informations potentiellement très préjudiciables sur les circonstances dans lesquelles le dossier Steele a été produit, [dossier qui a été] discrédité de manière spectaculaire, avec des révélations qui mettent en, cause, entre autres, la communauté américaine du renseignement, le FBI, le Comité national démocrate, l’administration Obama et la campagne de Clinton. Ainsi, qui avait les moyens, le mobile et l’opportunité ? Considéré sous cet angle, les Russes se classent loin derrière les autres principaux suspects : les services de renseignement des États-Unis et du Royaume-Uni eux-mêmes, et les éléments de l’État profond qui ont cherché à empêcher Trump de gagner et, par la suite, à saper sa présidence...

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